24-04-2024 11:22 AM Jerusalem Timing

Le désarroi des familles françaises face à la à la radicalisation d’un proche

Le désarroi des familles françaises face à la 
à la radicalisation d’un proche

Les autorités estiment qu’environ 500 jeunes Français sont partis dans la zone syro-irakienne.

 Longtemps les doigts de Marie ont hésité au-dessus du clavier: "Bon sang, c'était la dénoncer !" Elle a finalement composé le numéro vert pour signaler aux services de renseignement français la radicalisation de Léa, sa petite-fille.

 Attablée au fond d'une brasserie en région parisienne, cette femme de 75
ans témoigne sous couvert d'anonymat.

"Personne ne sait que j'ai appelé, pas même mon mari", explique-t-elle. "Ma
fille - la mère de Léa - dit que je ne comprends rien, que je suis parano. Je
suis vraiment seule dans cette famille à faire ce que j'estimais devoir faire".

C'était il y a un an, peu après le lancement de cette plateforme
téléphonique dédiée aux familles par le ministère français de l'Intérieur, fin
avril 2014. 

Depuis, "plus de 2.200 personnes ont été signalées" via le numéro vert,
précise Pierre N'Gahane, le secrétaire général du Comité interministériel de
prévention contre la délinquance (CIPD). "Si on ajoute les remontées des
préfectures, on arrive à 4.500", selon les chiffres arrêtés fin mai. "Une vraie
demande sociale s'exprimait dans le pays".

"Ce numéro, c'est très bien. On m'a posé énormément de questions sur
l'environnement familial, le mode de vie. Ils sont très empathiques et
rassurants", se rappelle Marie.

Alertée, la préfecture de son département l'a rapprochée de l'association
locale, Société, Famille, Individu (Sofi), spécialisée dans le traitement des
dérives sectaires. 

Depuis les attentats de Paris perpétrés début janvier par des Français
radicalisés, sa présidente Michèle Cherpillod et son équipe de bénévoles
suivent une quinzaine de familles. Une fois par mois, elles se réunissent dans
un lieu tenu ecret "pour leur anonymat et leur sécurité" et échangent leurs
témoignages.

"Une mère a expliqué un jour que sa fille de 15 ans refusait de pousser son
caddie car il y avait des bouteilles d'alcool dedans", rapporte Mme Cherpillod.

A chacun(e), elle livre le même conseil: "Garder toujours un lien affectif, une sorte de fil d'araignée incassable. Il ne faut pas que leur seule porte de
sortie soit le jihad".
   
La conversion de Léa, 23 ans, remonte à 2013. Tout est parti, selon sa
grand-mère, d'un échec amoureux: "Son copain l'a quittée pour une autre fille,
elle en était malade. A partir de là, elle m'a dit +le regard des hommes, je ne
le supporte plus+". Elle démissionne de son travail de caissière, décroché
après une scolarité abandonnée en première, "pour être femme au foyer".

Fini "les sorties, l'alcool, les feuilles d'artichaut" (cannabis) qu'elle
cultivait sur son balcon, s'amuse encore Marie, qui se souvient de leur
complicité passée. "On échangeait nos vêtements, on faisait les courses
ensemble". Aujourd'hui, elles se voient toujours une fois par semaine mais "les
rapports sont plus froids".

Les habits qu'elle lui offre "terminent à la poubelle", tout comme les
livres et les posters "d'hommes bodybuildés" qui tapissaient les murs de sa
chambre, où elle n'invite plus que "des amies voilées comme elle".

Terminées aussi les confidences sur "ses nombreuses aventures": Léa préfère
désormais déverser sa "haine des juifs", crier au "complot" des attentats du
11-Septembre, plaindre l'ex-chef d'Etat libyen Mouammar Kadhafi, "ce pauvre
homme", douter de "la mort de Ben Laden" et fustiger "la propagande des médias" sur les atrocités commises par le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak.

Elle rencontre son futur mari à la mosquée de Villiers-sur-Marne, dans la
banlieue parisienne, "connue pour ses prêches violents", selon une source
policière. 

C'est autour de cette mosquée que se concentre aujourd'hui une enquête
judiciaire sur une filière d'envoi de jihadistes vers la Syrie démantelée en
novembre 2013.  

Les autorités estiment qu'environ 500 jeunes Français sont partis dans la
zone syro-irakienne, dont au moins 119 y ont trouvé la mort et que sur le
territoire près de 2.000 personnes sont concernées par ce phénomène de
radicalisation. 

Marie avoue avoir eu "peur d'un départ" de Léa vers la Syrie. Mais si ses
craintes se sont un peu dissipées, elle a toujours besoin de se rassurer: "j'ai
fait tout ce qu'il fallait pour qu'elle ne parte pas".