28-03-2024 03:59 PM Jerusalem Timing

Les obus utilisés dans l’attaque chimique n’ont jamais été vendues à la Syrie

Les obus utilisés dans l’attaque chimique  n’ont jamais été vendues à la Syrie

Article de Robert Fisk

Des inspecteurs de l'ONU à DamasAlors que le régime de Bahar al-Assad à Damas a nié toute responsabilité dans les tirs d’obus de gaz sarin dans la banlieue de Ghouta le 21 août, l’information circule maintenant dans Damas, que la nouvelle « preuve » de la Russie à propos de l’attaque, comprend les dates d’exportation des obus utilisés et - plus important encore - la liste des pays auxquels ils ont été vendues.

Ces obus ont apparemment été fabriqués en Union soviétique en 1967 et vendus par Moscou à trois pays arabes : le Yémen, l’Égypte et la Libye du colonel Mouammar Kadhafi. Ces informations ne peuvent être encore vérifiées par des documents, et Vladimir Poutine n’a pas révélé les raisons pour lesquelles il avait déclaré à Barack Obama qu’il savait que l’armée d’Assad n’avait pas tiré les roquettes de gaz sarin. Mais si l’information est exacte - et l’on croit qu’elle vient directement de Moscou - la Russie n’a jamais vendu ce lot particulier de munitions chimiques en Syrie.

Depuis la chute de Kadhafi en 2011, de grandes quantités d’armes de fabrication soviétique abandonnées sont tombées dans les mains de groupes rebelles et d’insurgés affiliés à Al-Qaïda. Beaucoup de ces armes ont été retrouvées au Mali, certaines en Algérie et une grande quantité dans le Sinaï. Les Syriens ont depuis longtemps affirmé qu’une quantité importante d’armes de fabrication soviétique avait fait son chemin à partir de la Libye jusqu’aux rebelles dans la guerre civile syrienne, avec l’aide du Qatar - qui avait soutenu les rebelles libyens contre Kadhafi et qui finance aujourd’hui les livraisons d’armes aux insurgés syriens.

Il ne fait aucun doute que la Syrie dispose d’un arsenal d’armes chimiques considérable. Ni que les stocks syriens contiennent de grandes quantités de gaz sarin dans des roquettes de 122mm. Mais si les Russes ont en effet été en mesure d’identifier les types d’obus précis à partir des fragments trouvés dans Ghouta - et si ceux-ci appartiennent à des munitions qui n’ont jamais exportées vers la Syrie - le régime d’Assad va pouvoir se vanter que son innocence a été prouvée.

Dans un pays - en fait un monde - où la propagande est plus influente que la vérité, découvrir l’origine des produits chimiques qui ont asphyxié tant de Syriens il y a un mois est une enquête journalistique périlleuse.
Les reporters qui envoient des dépêches depuis les zones tenues par les rebelles sont accusés par le régime d’Assad de pactiser avec les terroristes. Quant aux journalistes qui sont du côté des lignes de front du gouvernement la Syrie, ils sont régulièrement accusés de relayer la propagande du régime. Et même si le régime d’Assad n’était pas responsable de l’attaque du 21 août, ses forces ont commis des crimes de guerre en abondance au cours des deux dernières années. La torture, les massacres, les bombardements de cibles civiles ont depuis longtemps été établis.

Néanmoins, il faut dire aussi que de sérieux doutes sont exprimés par les organisations internationales, les Nations Unies et d’autres à Damas sur le fait que les obus de gaz sarin aient été tirés par l’armée d’Assad.

Bien que ces employés internationaux ne peuvent donner leur identité, certains d’entre eux étaient à Damas le 21 août et ont posé une série de questions auxquelles on n’a pas encore fourni de réponse. Pourquoi, par exemple, la Syrie attendrait-elle que les inspecteurs de l’ONU soient confortablement installés à Damas le 18 août avant d’utiliser le gaz sarin à peine deux jours plus tard - et seulement à 7 kilomètres de l’hôtel où les inspecteurs venaient de descendre ? Ayant ainsi présenté à l’ONU des preuves de l’utilisation de gaz sarin - les inspecteurs étant rapidement sur place - le régime d’Assad, s’il était coupable, se serait certainement rendu compte qu’une attaque militaire serait organisée par les nations occidentales.

Toujours est-il que la Syrie est maintenant en train de perdre la totalité de ses défenses chimiques si stratégiques contre l’arme nucléaire israélienne - et cela uniquement parce que le régime voulait tirer sept roquettes vieilles de près un demi-siècle sur une banlieue rebelle (s’il faut en croire les pouvoirs occidentaux) où seulement 300 des 1400 victimes (s’il faut en croire les rebelles) étaient des combattants. Comme une ONG occidentale le disait hier : « si Assad voulait vraiment utiliser le gaz sarin, pourquoi, pour l’amour de Dieu, a-t-il attendu pendant deux ans, et en plus quand l’ONU était sur le terrain pour enquêter ? »

Les Russes, bien sûr, ont apporté des démentis similaires de la responsabilité d’Assad pour les précédentes attaques au gaz sarin. Quand au moins 26 Syriens sont morts d’empoisonnement au gaz innervant à Khan al-Assal, le 19 mars - une des raisons pour lesquelles les inspecteurs de l’ONU ont été dépêchés en Syrie le mois dernier - Moscou avait également accusé les rebelles d’en porter la responsabilité. Les Russes ont ensuite présenté à l’ONU un rapport de 100 pages contenant leurs « preuves ». Toutefois, comme le témoignage de M. Poutine sur les attaques du 21 août, il n’a pas été rendu public.

Un témoin qui se trouvait avec les troupes de la 4e division de l’armée syrienne le 21 août - un ancien officier des forces spéciales considéré comme une source fiable - a déclaré n’avoir vu aucune trace que des missiles portant du gaz aient été tirés, alors qu’il était même dans l’une des banlieues, Moadamiya, qui était une cible pour le gaz sarin. Il se souvient des soldats exprimant des inquiétudes quand ils ont vu les premières images sur YouTube de civils en état de suffocation - pas par sympathie, mais parce qu’ils craignaient d’avoir à se battre au milieu de nuages empoisonnés.

« Il faudrait peut- être aller au-delà des théories du complot et dire que le gouvernement n’était pas impliqué, » a déclaré un journaliste syrien la semaine dernière. « Mais nous sommes sûrs que les rebelles ont obtenu du gaz sarin. Ils auraient eu cependant besoin des étrangers pour leur apprendre à tirer. Ou alors il y a une ’troisième force’ que nous ne connaissons pas ? Si l’Occident avait besoin d’un prétexte pour attaquer la Syrie, ils l’ont trouvé au bon moment, au bon endroit, et devant les inspecteurs des Nations Unies. »

 

Par Robert Fisk
Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

Info-Palestine