28-03-2024 08:18 PM Jerusalem Timing

Attentats de Paris : Israël se livre aux joies du «French bashing»

Attentats de Paris : Israël se livre aux joies du «French bashing»

Les Israéliens ne peuvent pas voir en quoi la situation qui prévaut en Palestine occupée est différente de celle de Paris…

Dans Haaretz, Allison Kaplan Sommer explique que « beaucoup d’Israéliens sont entrés dans une concurrence victimaire », car ils se sentent méprisés du fait du « peu d’attention que le monde accorde à [leurs] victimes du terrorisme  » par comparaison à l’élan mondial de solidarité dont bénéficie la France après les attentats du vendredi 13 à Paris.

« Au lendemain des attaques de Paris – écrit Allison Kaplan Sommer – j’ai demandé à une Israélienne qui a émigré de France si elle était choquée et inquiète de voir une telle dévastation dans la ville où elle a vécu. A ma grande surprise, elle m’a répondu que non, et à mon grand ébahissement elle est allée un cran plus loin : “Ils l’ont mérité”, me dit-elle calmement ».

«Je lui ai immédiatement demandé pourquoi. Son raisonnement : la France et le reste de l’Union Européenne vient de décider d’étiqueter les produits de Cisjordanie. De son point de vue, c’était un coup en traître de la France contre Israël au moment où les choses allaient mal. Israël était, après tout, en plein milieu d’une vague d’attentats sanglants au couteau et avec des automobiles, aussi barbares et injustifiées que ce qui s’est passé au Bataclan ou dans des cafés parisiens».

«Puisque les Français n’étaient pas intéressés à partager la douleur d’Israël, pourquoi devrait-elle ressentir la leur ? Pour beaucoup de ses amis Juifs Français vivant maintenant en Israël, et parmi eux les milliers qui ont quitté la France récemment (dont les anciens propriétaires de la salle de spectacles du Bataclan), l’amertume a été aggravée d’avoir été pour la France le canari oublié [1] au fond d’une mine de charbon. Selon leur perception, la France, et le monde, ont accordé peu d’attention aux attentats dont eux – les Juifs –  ont été la cible, depuis le meurtre d’Ilan Halimi [2] jusqu’à l’attentat contre le super-marché “HyperCacher” qui a suivi le massacre chez Charlie-Hebdo en janvier, en passant par les meurtres à Toulouse [3]. Même s’ils ne se réjouissent pas de la manière dont les choses se sont passées, il y a un sentiment très affirmé de “on vous l’avait bien dit”, qui est une justification de leur décision de quitter la France, en dépit du fait que vivre en Israël était loin de leur garantir la sécurité. »

«Le même jour, à l’école élémentaire que fréquente ma fille, il y avait un cours d’actualité, et toute la classe était impatiente de parler des évènements dont il avait été question non-stop dans les médias au cours des 24 dernières heures. Mais le professeur a refusé d’en parler avant que la leçon soit pratiquement terminée.»L’enseignant a expliqué à ces enfants en classe de sixième qu’il était «beaucoup plus important» de parler de ce qui se passait en Israël, en particulier l’attentat qui avait coûté la vie à un rabbin de Hébron et à son fils. «Le monde entier peut avoir les yeux fixés sur la France, a expliqué l’instituteur aux enfants, mais Israël doit accorder son attention à ses morts, car le monde entier s’en désintéresse ».

Sur les médias sociaux également, le ressentiment de nombreux Israéliens s’est exprimé quant au fait que les attentats en France ont suscité une solidarité et un sentiment d’identification très largement répandu dans le monde, alors que rien de tel ne s’est exprimé envers les victimes israéliennes – juives – des troubles en Palestine occupée depuis quelques semaines. «Des Israéliens sont tués, et tués et tués, et on dirait que personne n’en a rien à faire», écrivait sur Facebook un ami de Allison Kaplan Sommer, qui le rapporte dans son article. Ou encore : «Des Israéliens sont attaqués par des musulmans depuis 1921 [4] jour après jour, mais allez-y, changez votre image de profil pour mettre le drapeau français» écrivait un autre sur Twitter.

Netanyahou lui-même n’a pas été en reste, qui a écrit sur sa page Facebook : «Il est temps pour le monde de condamner le terrorisme contre Israël de la même manière qu’il condamne le terrorisme en France et n’importe où ailleurs dans le monde ». Plus tard, devant les caméras, il a développé son raisonnement : « Nous ne sommes pas à blâmer pour le terrorisme dirigé contre nous, exactement comme les Français ne sont pas à blâmer pour le terrorisme dirigé contre eux. Ce sont les terroristes qui sont à blâmer pour le terrorisme, ni les territoires [occupés] ni les implantations [les colonies – NDLR], ni quoi que ce soit d’autre. C’est la volonté de nous détruire qui perpétue le conflit et motive les agressions meurtrières contre nous ».Conclusion de la journaliste de Haaretz : «Les Israéliens – et tous les autres – seraient bien avises de se souvenir que la tragédie et le seuil ne sont pas une espèce de compétition internationale, et que les terribles événements sanglants ne sont pas des occasions pour une surenchère ou des tentatives d’exclure l’autre de la condition de victime ».

La tentative de récupérer aux profit d’Israël les événements tragiques de Paris s’exprime de manière encore plus grossière dans le chef de Yinon Magal, membre du parlement représentant le Foyer juif, parti d’extrême-droite et auteur de la proposition de loi visant à interdire l’accès au territoire israélien de toute personne favorable au boycott d’Israël. « La réalité à laquelle nous avons été exposés est choquante, a-t-il écrit sur Facebook. Le seul bon point à ce sujet (si tant est que nous pouvions employer ce terme) est que celle-ci devient plus claire. Depuis des années, nous faisons face seuls à l’islam radical, et depuis des années, nous mettons le monde en garde. Enfin, Dieu merci, nous et le monde commençons lentement à comprendre que le problème ne vient pas de nous ».

Meron Rapoport, sur le site Middle East Eye parle du «French bashing d’Israël» et rapporte qu’au cours des funérailles du rabbin de Hébron, victime d’un attentat, dont il est question plus haut, le rabbin  d’extrême-droite Dov Lior (dont nous avons déjà rapporté les propos)  n’a pas été le seul à s’en prendre à la France.

« Les hommes livrés au mal de l’Europe couverte de sang l’ont bien cherché pour ce qu’ils ont fait à notre peuple il y a 70 ans », a-t-il déclaré. Mais, écrit Middle East Eye, Moti Karpel, ancien rédacteur en chef du journal pro-colons Nekuda ( Point ), s’est exprimé d’une manière similaire. «L’Europe, qui a légitimé le terrorisme contre Israël, a-t-il affirmé sur son blog personnel, est maintenant surprise que celui-ci se soit tourné contre elle et se retrouve impuissante. Le crime et sa sanction […] Aujourd’hui, ils en paient le prix. »

«  Les propos de Lior et Karpel n’étaient pas une exception. Plus de 80% des commentaires postés sur le reportage principal au sujet du massacre de Paris publié par Ynet, le site web d’information le plus populaire d’Israël, raillaient la France qui n’aurait pas compris l’ampleur de la  “ menace musulmane ” qui pèse sur son mode de vie, ou applaudissaient même ouvertement le fait que la France était désormais contrainte de “ manger la bouillie qu’elle a préparée ”».

«Cette attitude hostile envers l’Europe en général et la France en particulier n’est pas nouvelle en Israël. Une relation de type « je t’aime, moi non plus » a été établie avec le Vieux Continent qui a vomi et brûlé ses juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et sur lequel de nombreux Israéliens souhaitent retourner en récupérant un passeport européen.

Tout en essayant de se détacher de leur voisinage moyen-oriental, de nombreux juifs israéliens estiment qu’ils représentent les vraies valeurs européennes et occidentales dans la région en luttant contre leurs prétendus ennemis arabes et musulmans. Pourtant, ils sont surpris de voir que l’Europe n’apprécie pas leurs efforts et ne les soutient pas, et se sentent trahis. Dans un sens, beaucoup d’Israéliens se sentent plus européens que les Européens eux-mêmes et pensent que les « vieux » Européens ont oublié comment être européens.

La France et son importante minorité musulmane représentent probablement le mieux cette approche schizophrène. Ce pays qui était un allié d’Israël dans ses premières années, où des centaines de milliers d’immigrés juifs d’Afrique du Nord se sont installés et ont prospéré, perd aux yeux des Israéliens sa nature « originelle » et s’abandonne sans combattre à ses immigrés musulmans, poussant prétendument sa population juive à fuir ailleurs.

De nombreux reportages, dont une série documentaire télévisée qui a rencontré un franc succès, ont relayé auprès de l’opinion publique israélienne le « danger musulman » imminent qui menace de purger le mode de vie européen. Le problème, selon ces reportages, est que l’Europe ne comprend pas ce que nous, Israéliens habitués au «terrorisme musulman », avons compris depuis des années. Le massacre perpétré par l’État islamique à Paris est considéré comme une preuve que nous, les Israéliens, comprenons mieux la réalité européenne que les Européens eux-mêmes.

La décision prise la semaine dernière par l’Union européenne de marquer les produits venant des colonies de Cisjordanie et du plateau du Golan a été vue comme un autre signe de la « trahison » d’Israël commise par l’Europe. Les ministres israéliens ont comparé cela au marquage des biens appartenant aux juifs dans l’Allemagne nazie.

De ce point de vue, on comprend comment Dan Margalit, autrefois l’un des meilleurs journalistes d’Israël, a pu affirmer dans un tweet quelques heures après les attentats de Paris qu’Israël devait « envoyer des fournitures médicales, du matériel hospitalier et de la nourriture issus des colonies pour soutenir les victimes du terrorisme arabe à Paris». C’était censé être une plaisanterie».

 

Source: Pour la Palestine



[1] “le canari oublié” : allusion au procédé ancien qui consistait dans les mines de charbon à se servir d’un oiseau en cage pour détecter la présence de grisou, un gaz inflammable totalement inodore et incolore se dégageant de la roche et représentant un danger mortel pour les mineurs. Lorsque le canari s’agitait ou mourait, c’est qu’il y avait du grisou dans la galerie, et il fallait évacuer d’urgence.
[2] référence à l’affaire de droit commun dite du «gang des barbares» (2006)
[3] référence à l’affaire Mohammed Merah (2012)