29-03-2024 07:05 AM Jerusalem Timing

Hiroshima: les cicatrices encore visibles 70 ans après la bombe

Hiroshima: les cicatrices encore visibles 70 ans après la bombe

70 ans après, certains "hibakusha" (victimes de la bombe nucléaire) évitent de parler ouvertement de leur expérience.

 
Il y a 70 ans cette semaine, des corps carbonisés flottaient dans les cours d'eau saumâtre qui traversent Hiroshima, une grande ville du Japon qui venait de disparaître dans le feu de la première attaque nucléaire de l'histoire.

L'odeur de chair brûlée emplissait l'air, des survivants par dizaines,
couverts de brûlures, se jetaient à l'eau dans l'espoir d'échapper au brasier.
Des centaines et des centaines n'ont jamais refait surface, poussés par le fond
sous le poids d'une masse humaine désespérée.

"C'était une lueur soudaine, blanche, argentée", raconte Sunao Tsuboi (90
ans) en se rappelant l'instant où les Etats-Unis ont lâché ce qui était alors
l'arme la plus destructrice jamais produite. "Je ne sais pas pourquoi j'ai
survécu et vécu si longtemps", dit-il. "Plus j'y pense, plus ce souvenir est
douloureux".

Sept décennies après la bombe, cette ville de 1,2 million d'habitants est à
nouveau un centre de commerce prospère mais les cicatrices physiques et
psychiques demeurent.

Il était 08H15 le 6 août 1945 lorsqu'un bombardier B-29 baptisé Enola Gay
volant à haute altitude au-dessus de la ville a largué Little Boy ("petit
garçon" en français), une bombe à uranium dotée d'une force destructrice
équivalente à 16 kilotonnes de TNT. 43 secondes plus tard, alors qu'elle se
trouvait à 600 mètres du sol, la bombe a explosé en une boule de feu dégageant une température d'un million de degrés Celsius.

La température au sol a atteint 4.000 degrés, de quoi faire fondre de
l'acier. Les bâtiments de pierre ont survécu mais portaient imprimée sur leurs
murs les formes d'humains calcinés.
   
Une maladie inconnue
   
   Des souffles de 1,5 kilomètre par seconde ont projeté des débris vers
l'extérieur, arrachant au passage membres et organes, puis les vents se sont
inversés.

Un gigantesque champignon nucléaire s'est élevé jusqu'à 16 km au-dessus de
la ville. On estime à 140.000 le nombre de morts, au moment de l'impact puis
ultérieurement, sous l'effet de l'irradiation.

Tsuboi, alors jeune étudiant, se trouvait à environ 1,2 kilomètre de
l'impact. Lorsqu'il s'est relevé, sa chemise, son pantalon et sa peau
flottaient en lambeaux, des veines pendaient de ses plaies, une partie de ses
oreilles manquait. 

Il se rappelle avoir vu une adolescente dont le globe oculaire droit
pendait sur le visage. Non loin, une femme tentait vainement d'empêcher ses
intestins de tomber.

Pour les survivants, s'ouvrait alors la terrifiante inconnue d'une nouvelle
maladie: gencives en sang, dents déchaussées, chutes de cheveux par mèches
entières, naissances prématurées, bébés difformes, morts subites. La crainte
qu'ils soient contagieux les a isolés et beaucoup ont eu des années plus tard
des difficultés à trouver un emploi ou à se marier.

70 ans après, certains "hibakusha" (victimes de la bombe nucléaire) évitent de parler ouvertement de leur expérience.
   "Je sais personnellement comment une seule bombe a changé la vie de tant de
gens", dit le maire de Hiroshima, Kazumi Matsui (62 ans), dont la mère est une
survivante.

Trois jours après Hiroshima, l'armée américaine a largué une bombe au
plutonium sur la ville portuaire de Nagasaki, tuant quelque 74.000 personnes.

   Ces deux bombes ont porté un coup final au Japon impérial, qui s'est rendu
le 15 août 1945, marquant le terme de la Seconde guerre mondiale. Pour les
partisans de la décision d'utiliser l'arme nucléaire, si celle-ci a fait de
nombreuses victimes, elle a évité une invasion terrestre dont certains
évaluaient les pertes humaines à plusieurs millions.
   
  Un monde sans l'arme nucléaire
   
 Les dirigeants politiques des deux villes frappées font depuis longtemps
campagne pour le désarmement. "Nous ne pouvons pas renoncer à la lutte pour le désarmement nucléaire. Le danger est trop grand", dit Frank von Hippel,
spécialiste du contrôle des armes nucléaires, professeur émérite de
l'Université de Princeton et ancien responsable à la Maison Blanche.

Quant à Tsuboi, il espère voir le jour où les dirigeants du monde, dont
le président des Etats-Unis, viendront dans sa ville entendre le récit de ce
qui s'est produit sous le nuage en forme de champignon. Il ne demande pas
d'excuses mais simplement que cela ne se reproduise jamais. "Nous ne devons pas oublier", dit-il.