27-04-2024 06:05 AM Jerusalem Timing

Les "Saudi Cables" révèlent comment Riyad achète l’élite libanaise

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Gare aux malheureux qui s’aventurent à critiquer "la maison des Saoud".

Au Liban, les patrons de presse et les hommes politiques dont les ressources ne sont pas à la hauteur de leurs ambitions peuvent toujours se tourner vers l’Arabie saoudite pour financer leur carrière. Le royaume saoudien sait se montrer généreux avec ceux qui défendent ses intérêts. Mais gare aux malheureux qui s’aventurent à critiquer la « maison des Saoud ». Ils s’exposent à un retour de bâton, sous forme de pressions ou de sanctions financières.

Ce double jeu de Riyad sur la scène politico-médiatique libanaise, moitié mécène, moitié gendarme, constitue le principal enseignement de la première fournée de documents diplomatiques saoudiens, divulguée en fin de semaine dernière par WikiLeaks.

L’organisation spécialisée dans la publication de documents confidentiels a mis la main sur plus d’un demi-million de lettres, de courriers électroniques et de câbles rédigés par le ministère des affaires étrangères saoudien ou ses représentants à l’étranger.

70 000 documents

De cette mine dont l’origine n’est pas connue, WikiLeaks n’a pour l’instant révélé qu’une petite partie, composée de 70 000 documents, en partenariat avec le quotidien libanais Al-Akhbar, l’un des organes de la presse arabe les plus hostiles à la monarchie saoudienne. L’ensemble donne un aperçu de la manière dont Riyad s’est acheté un réseau d’obligés au pays du Cèdre.

Geagea sollicite les faveurs du royaume

On apprend par exemple que Samir Geagea, un ténor de la droite chrétienne, a sollicité les faveurs sonnantes et trébuchantes du royaume en 2012.

Dans une lettre envoyée à sa hiérarchie, l’ambassadeur saoudien à Beyrouth, Ali Awad Asiri, décrit la mauvaise passe financière du chef des Forces libanaises, en mentionnant notamment qu’il est « sur le point de ne plus pouvoir payer le salaire de ses gardes du corps ».

La réponse donnée par l’Arabie saoudite à cette requête n’apparaît pas dans les documents de WikiLeaks.

Un conseiller de M. Geagea, contacté par Le Monde, s’est refusé à faire tout commentaire sur le sujet.

A en juger par la fréquence de ses voyages à Riyad et par son ardeur à critiquer le Hezbollah, qui est l’une des bêtes noires du royaume saoudien, il est probable que l’ex-chef de milice de la guerre civile ait obtenu gain de cause.

Trois responsables du 14 Mars

Selon les « Saudi Cables », trois autres responsables politiques libanais, tous chrétiens, de droite, et membres de la coalition dite du 14-Mars, opposée à Damas et Téhéran, se sont livrés à des démarches similaires, en vue des législatives de 2013, entre-temps reportées à 2017 : Elias Murr, un ex-ministre de l’intérieur, propriétaire du quotidien Al-Joumhouria ; l’avocat Boutros Harb, candidat malheureux à la présidence de la République ; et Dory Chamoun, le président du Parti national libéral, héritier de l’ancien chef de l’Etat Camille Chamoun.

Ingérence patente

L’ingérence de l’Arabie saoudite dans les salles de rédaction libanaises est patente dans une lettre de trois pages consacrée en juin 2012 au quotidien de centre gauche As-Safir.

L’ambassadeur Asiri y éreinte Talal Salman, le directeur de la rédaction, jugé coupable d’avoir publié un article critiquant la politique saoudienne dans la région, en affirmant que « son identité chiite éclipse son objectivité journalistique ».

En guise de réaction, l’ambassadeur recommande de « continuer à soutenir » Al-Joumhouria, An-Nahar, un quotidien de centre droit, et Al-Moustakbal, l’organe du parti de Saad Hariri, à charge pour eux « d’attaquer quiconque salit l’image » du royaume.

Il propose également d’inviter M. Salman à Riyad, présumant, sans expliquer pourquoi, qu’une telle visite serait susceptible de remettre son titre sur le droit chemin.

LBC et MTV

Pareille offre est aussi suggérée dans le cas de Pierre Daher, le patron de LBC, la première chaîne de télévision libanaise, à qui il est reproché, dans un autre câble, d’avoir laissé passer à l’antenne un reportage défavorable à la monarchie.

Asiri, le très entreprenant émissaire des Saoud, va jusqu’à émettre l’idée de pénaliser LBC, en lui retirant des budgets publicitaires.

Un autre document, daté de mai 2012 et classé top secret, fait état d’une demande de financement de MTV, une télévision privée propriété de la famille Murr.

« Le montant demandé est 20 millions de dollars. C’est un peu exagéré. On devrait proposer 5 millions », précise le courrier.

 

Avec Le Monde