29-03-2024 08:31 AM Jerusalem Timing

"MSF rapporte seulement les souffrances des rebelles à Alep ", dénonce un médeci

Dr. Nabil Antaki assure avoir perdu un grand nombre de ses amis occidentaux parce qu’il leur rapportait la vérité de ce qui se passe à Alep.

Docteur Nabil, sur la base de votre expérience, que pensez-vous des rapports de Amnesty international et Médecins sans frontières qui parlent d’une Alep détruite (et des hôpitaux) par les Barrel Bombes de l’armée syrienne ?

Alep est divisée en deux parties, la partie Est avec 300.000 habitants, est aux mains des groupes armés et la partie Ouest avec 2 millions d’habitants est sous contrôle de l’Etat syrien. Nous ne savons pas ce qui se passe dans l’autre partie de la ville. Donc je ne peux ni confirmer ni démentir.

Mais je sais deux choses :
1- Nous sommes bombardés quotidiennement par les « rebelles » et beaucoup d’hôpitaux de notre côté de la ville ont été détruits, brûlés ou endommagés par les rebelles
2- Nous sommes dans une situation de guerre et il est possible que des bombes tirées par l’armée syrienne aient touché un hôpital mais c’est sûrement pas intentionnellement. Les américains et les occidentaux avec leurs armes très sophistiqués ont ratés souvent leurs cibles et causé des « dommages collatéraux».

Ce que je reproche à Médecins sans frontières, c’est qu’ils ne rapportent que les souffrances de l’autre côté de la ville, côté rebelles et jamais les souffrances de notre côté. Leurs rapports sont biaisés.

Que pensez-vous de la proposition de Sant ’Egidio et de l’ancien ministre Riccardi, de faire d’Alep une “ville ouverte”, et aussi d’introduire une no-Fly zone?

L’initiative de Sant ‘Egidio était bonne quand elle avait été lancée en juillet 2014 quand l’eau avait été coupée d’Alep (par les groupes armés) pendant 70 jours consécutifs. Il fallait “sauver Alep d’abord ».

Maintenant cette initiative est dépassée. Nous n’avons plus besoin qu’Alep soit déclarée ville ouverte et que des couloirs humanitaires soient ouverts. Bien que la situation soit mauvaise, Alep n’est plus soumise à un blocus comme il y a un an et demi. Les personnes et les produits entrent et sortent par une route que le gouvernement a percé il y a 17 mois. Les vivres rentrent, personne ne meurt de faim même si 80% de la population reçoit une aide alimentaire.

Oui, la ville est encerclée mais il y a toujours cette route qui nous relie à l’extérieur. La ville est sinistrée mais les gens continuent à vivre en s’adaptant à la pénurie d’eau, d’électricité… Donc, actuellement les avantages de la proposition de Sant ‘Egidio sont moins importants que le danger d’une no-Fly zone et d’une force d’interposition qui avantageraient les groupes armés et mettraient la ville et ses habitants en danger, à la merci de Daech et de Nosra.

Pourquoi même les groupes chrétiens sur place hésitent à parler des causes de leur souffrance ?

Vous avez raison quand vous dites que nous parlons seulement de la souffrance des Aleppins et non des causes. Nous le faisons pour beaucoup de raisons :

Premièrement pour être audibles de l’opinion publique occidentale qui a été tellement désinformée que des déclarations politiques disant la vérité ne sont pas lues, écoutées ou prises en compte. Donc, à partir des souffrances des Aleppins et des Syriens, on arrive à faire passer le message que les « rebelles » armés sont responsables de la souffrance des Syriens et ou, au moins, co-responsables.
Combien d’amis intimes occidentaux j’ai perdu au début des évènements parce que je leur disais la vérité sur les interférences ; ils me répondaient : vous les arabes, vous voyez des complots partout.
J’utilise maintenant une autre tactique : je ne parle plus de complot ou de plan préétabli mais je dis que ce qui s’est passé et ce qui se passe actuellement en Syrie n’était pas « spontané » et mon discours est accepté. L’important est de faire passer le message

Deuxièmement les gens ont peur pour leurs vies et donc parlent seulement des souffrances et non des causes et des responsables de nos malheurs. Ils ont peur d’être tués. Il est plus facile de parler quand on vit à l’extérieur de la Syrie

Que pensez-vous quand vous entendez les médias [traditionnels] parler d’Alep et de la Syrie ? Pourquoi croient-ils des sources non fiables ? Pourquoi par exemple décrivent-ils les “casques blancs” d’Al Nosra comme étant des opposants angéliques [Le chef de la diplomatie, Laurent Fabius avait dit "Ils font du bon boulot - NdT]?

Les journalistes qui nous interrogent orientent toujours leurs interviews vers l’humanitaire et refusent qu’on parle d’autres choses. Néanmoins, nous essayons de dire la vérité. Dans tous mes écrits, je dis que nous sommes bombardés par les groupes armés rebelles qui nous envoient des mortiers, des fusées et des bonbonnes de gaz remplies d’explosifs et de clous.

Dès 2011, les Syriens ont su que ce qui se passait n’était pas une révolution pour amener en Syrie plus de démocratie, plus de respect des droits de l’homme et moins de corruption. Les Syriens savaient, dès le début, que « le printemps arabe » était la nouvelle appellation de « chaos constructif » de Condoleezza Rice et « du nouveau Moyen-Orient » de l’administration Bush et que ce «printemps » en Syrie allait aboutir soit au chaos et à la destruction du pays, soit à un état islamique. Malheureusement, ces deux projets vont peut-être réussir.

Pour revenir à la couverture des médias occidentaux. Ils ne s’appuient que sur une seule source d’information, l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une ONG basée à Londres, qui cache, sous un nom crédible, une officine qui diffuse de la désinformation.

Le jour de prière pour la Syrie organisé par le Pape François en septembre 2013 a été très important; il a contribué à éviter les bombardements des Etats-Unis [et de la France - NdT] suite à la désinformation sur les armes chimiques à Ghouta [qui incriminait Assad]. Que pourrait faire le Pape maintenant selon vous? Que lui dire?

Je dirai au Pape François :

Dès le 1er jour de votre Pontificat, les Syriens vous ont aimé et vous ont adopté. Vos différentes déclarations, homélies, tweets sont beaucoup appréciées et diffusées chez nous. On sent que, chez vous, l’évangile est au centre de tout, faisant fi de la bureaucratie et du politiquement correct d’une fausse diplomatie.

Vous avez demandé plus d’une fois aux chrétiens de Syrie (et du Moyen Orient) de ne pas quitter la terre de leurs ancêtres, de s’attacher à leurs racines pour donner un sens à leur appartenance et leur présence en Syrie. Ce, à quoi, mon groupe et moi, nous nous efforçons de faire depuis des décennies (cf. cette vidéo d’un montage que nous avions réalisé il y a 20 ans). Les différentes organisations catholiques internationales (et beaucoup d’ONG dont la nôtre) font de leur mieux pour soulager les souffrances des Syriens et en particulier des chrétiens sur le plan humanitaire.

Saint Père, nous vous implorons de faire autre chose. Les déclarations, le soulagement des souffrances, l’incitation à rester au pays n’ont pas empêché la moitié des chrétiens d’Alep de quitter définitivement. Les chrétiens de Syrie ont peur doublement : peur physiquement des fanatiques islamistes de Daech et aussi peur de perdre leur ’avenir et celui de leurs enfants à force de patienter et d’attendre la fin du conflit. Si vous voulez que l’autre moitié des chrétiens reste, il faudrait arrêter la guerre. Nous vous implorons d’user de votre autorité morale, de votre prestige incontestable pour faire pression sur les différents gouvernements afin qu’ils cessent d’armer et de financer les groupes armés, qu’ils luttent effectivement contre Daech et qu’ils fassent arrêter le passage des terroristes par notre frontière nord. Pour qu’une solution politique négociée puisse aboutir, il faudrait que l’opposition accepte le gouvernement actuel de la Syrie parce qu’on ne peut pas négocier avec quelqu’un dont on exige, au préalable, le départ.

Saint Père, seul, Vous, pouvez faire quelque chose pour arrêter la destruction de notre beau pays, pour arrêter la mort de centaines de milliers d’êtres humains et pour permettre aux chrétiens de Syrie de rester, ou de retourner, dans leur pays.

 

Sources: Tempi; Arrêt sur Info