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Tammam Salam : "Au Liban, nos difficultés sont immenses"

Tammam Salam :

Si Daesh parvient à envahir le Liban, il imposera son extrémisme partout.

En fonction depuis février 2014, après avoir négocié pendant dix mois la formation d’un gouvernement en pleine crise régionale, Tammam Salam, le président du Conseil des ministres libanais est issu d’une grande famille sunnite. À 70 ans, c’est le seul représentant légitime de la République libanaise. En visite officielle à Paris la semaine dernière, il a reçu le JDD.

Quelle est exactement la menace de Daech sur votre pays?


Daech est présent dans la région d'Ersal, à la frontière libano-syrienne. S'il parvient à envahir le Liban, il imposera son extrémisme partout. Daech a déjà essayé de nous déstabiliser avec l'aide de ses alliés au sein même du Liban. Mais l'armée libanaise est parvenue à maîtriser la situation à Tripoli, dans le Nord. On a gagné cette bataille-là. On pensait que Daech provoquerait une guerre entre sunnites et chiites, mais finalement les communautés ont décidé de rester favorables à l'unité de l'État.

La France et l'Arabie saoudite ont décidé de renforcer l'armée libanaise : trois milliards de dollars payés par Riyad pour que vous achetiez des équipements français. N'est-ce pas un peu tard?


Il faut encore attendre que les Saoudiens paraphent l'accord final avant que les Français commencent à livrer. Il ne s'agit pas que d'armes mais aussi d'équipements et de formation, et le tout est étalé sur quarante mois. Nous discutons encore pour que les hélicoptères soient livrés au début du programme et non à la fin, pour que nous puissions utiliser au plus tôt les missiles contre les djihadistes dans la montagne.

Confirmez-vous que l'armée libanaise a subi des désertions au profit de Daech?


Oui, mais il ne s'agit que d'une demi-douzaine de soldats sur une armée de 80.000 hommes et aucun officier ne figure parmi eux. La puissance médiatique des terroristes a fait croire à travers les médias sociaux qu'il s'agissait de victoires. Je conteste les accusations selon lesquelles l'armée libanaise souffrirait d'un manque de cohésion ou de représentativité. Cela dit, avec les kidnappings de soldats et l'exécution de plusieurs autres, l'émotion dans l'opinion est forte face à ces atrocités. Ces soldats ont été tués pour saper le moral de l'armée et diviser davantage nos communautés.

Les bombardements de la coalition internationale sur Daech et le Front Al-Nosra en Syrie sont-ils efficaces?
Non, ils sont insuffisants, symboliques. Pour les battre, il faudrait aller au sol. Mais à ce stade, qui veut y aller?

"Nous connaissons d'immenses difficultés"

Bachar El-Assad est-il le problème ou la solution en Syrie?


Le régime de Damas n'a pas apporté de solutions aux revendications du peuple ­syrien. Les grandes puissances auraient pu intervenir plus tôt, mais après deux ans, c'était difficile. Alors aujourd'hui, c'est encore plus dur. Que peut-on faire, que doit-on faire? Bachar est une des clés. Aux Russes et aux Américains de décider de rester dans la confrontation ou de chercher ensemble une solution.

Avec les "djihadistes" de Daech à vos portes et près de deux millions de réfugiés syriens sur votre sol, comment le Liban tient-il encore debout?


Nous connaissons d'immenses difficultés. La Banque mondiale a estimé l'été dernier que notre pays avait perdu près de 7 milliards de dollars depuis le début de la guerre en Syrie. Mais l'aide directe que nous avons reçue pour faire face à ce fardeau n'a pas dépassé les 100 millions de dollars.

La France en a versé près d'un tiers mais il y a une grande fatigue des donateurs, ce que je comprends. Personne n'a vraiment compris à quel point notre situation était fragile.
Le 9 décembre, lors de la conférence de Genève pour l'accueil des réfugiés, les pays volontaires n'ont accepté de prendre en charge que 100.000 d'entre eux. Pour nous, 500.000 aurait été un chiffre sérieux, mais là, on reste dans le symbolique. Lorsque le Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé début décembre qu'il n'avait plus d'argent pour nourrir l'ensemble des réfugiés, l'Arabie saoudite a accepté de payer la note, mais pour un mois seulement. Or, si les réfugiés syriens au Liban ne sont pas nourris, nous serons confrontés à une situation très inquiétante, peut-être même à une révolte.

Comment se fait-il que, compte tenu de cette situation alarmante, votre pays ne parvienne pas à sortir de sa paralysie? Vous n'avez toujours pas de président et le Parlement s'est auto-renouvelé sans passer par des élections…

C'est bien entendu le contexte de la situation en Syrie qui explique en partie cela, la menace de Daech, le poids des réfugiés : en l'absence d'élection d'un président de la République par le parlement libanais, tout est aggravé.
 Au Liban, toutes les factions sont responsables du blocage des institutions. Je ne veux pas désigner un seul coupable. J'espère que le dialogue entre le Hezbollah et les forces du parti du Futur portera ses fruits afin que nous puissions enfin élire un président.

François Clemenceau - Le Journal du Dimanche

dimanche 21 décembre 2014